S'il suffisait de traiter les problèmes sociaux pour régler l'économie ça se saurait. Si l'argent ne fait pas le bonheur, force est de constater qu'il y contribue tout de même. Quand on n'a pas la boule au ventre de savoir si on va pouvoir satisfaire ses besoins basiques, physiologiques selon la pyramide de Maslow, c'est moins tentant de chercher le bouc émissaire, celui-là même qui est la cause de toutes nos difficultés.
Le responsable politique (où l'on frise l'antinomie quand ce devrait être un pléonasme) vit en marge de la société. Le problème est qu'il se considère au-dessus de la mêlée, au-delà des intérêts particuliers pour la défense de l'intérêt général (où l'on comprend bien que les intérêts particuliers ne peuvent être qu'un risque pour l'intérêt général qu'il faut défendre). Or, il vit bien en marge de la société. Il est à côté. Il glisse sur le bas côté. Il est de plus en plus déconnecté (cf. Les élites débordées par le numérique - http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/12/26/les-elites-debordees-par-le-numerique_4340397_651865.html). Il ne s'agit pas simplement d'une déconnection par rapport à l'innovation. Ce n'est pas qu'un problème de numérique. C'est une déconnection profonde et qui risque d'être durable (c'est bien le seul sujet de développement durable auquel on assiste) tant l'Homme politique est enfermé dans un système consanguin qui ne sait que s'abreuver du flux de l'économie. Il traverse les époques en cumulant les postes et responsabilités, avec les garanties de sauvegardes qui s'imposent.
Quand les citoyens se confrontent à l'évolution réelle de devoir s'adapter au cours de leurs carrières, devant parfois changer complètement d'orientations, au prix d'efforts importants ou de remises en cause profondes, avec le risque parfois de manquer cette adaptation et découvrir alors ce qu'est un mode sans filet, hors des structures de soutien social classique, l'Homme politique, lui, reste dans son milieu. Il perd un ou deux mandats, mais en conserve assez pour pouvoir patienter jusqu'à la prochaine élection ou nomination…
Quand les citoyens comprennent désormais que l'économie est tout sauf une succession de cycles, mais plutôt un enchainement de pentes abruptes où il faut savoir sauter et bouger pour tenter de rester sur des pentes ascendantes, l'Homme politique reste sur cette idée (héritage de cette conception de l'intérêt général, la macro-économie, l'Histoire, la Culture générale…) que la société fonctionne sur des cycles et il espère alors être élu ou nommé au bon moment historique du démarrage d'un nouveau cycle. Autrement, il s'agit pour lui de tergiverser et déployer une communication d'attente expliquant qu'après la pluie viendra le beau temps (espérant en cela faire écho au bon sens paysan et ainsi raisonner ses cons de citoyens), le tout accompagné de messages volontaristes montrant que l'on a affaire à un homme d'actions, capable de prendre des décisions influant sur la destinée des choses (où l'on comprend le paradoxe de vouloir influer sur le destin…).
Nous serions gouvernés par Nostradamus, ou Elisabeth Teissier, ce ne serait pas pire, pas mieux. Donc, en attendant que le prochain potentiel cycle économique permette à tous de repartir de l'avant, le Politique travaille à la cohésion sociale et à l'éducation du bien-être des citoyens qui de leur côté se demandent comment ne pas finir schizophrène en étant d'un côté sollicités par un Etat qui leur demande (voire commande) d'être solidaires et d'un autre côté par une économie qui leur demande de s'assumer et de se responsabiliser individuellement…
Il faut donc bien trouver des responsables. Et oui, tout cela fait remonter des odeurs nauséabondes. Pour l'individu, cela devient rapidement l'Autre. Et on est toujours l'Autre de quelqu'un. Pour l'Etat, c'est celui qui ne se comporte pas comme étant pleinement respectueux de l'Autre. Celui qui évoque l'Autre privilégie un intérêt particulier, qu'il faut combattre puisque cela porte préjudice à l'intérêt général. Et plus on va vouloir forcer les Uns à supporter les Autres, par décret ou ordonnance, plus on constituera l'Un et l'Autre. Et moins on s'occupera d'économie au service d'une politique; et moins on s'occupera de ce qui pourrait créer le sens commun permettant aux Uns et aux Autres de collaborer. C'est en collaborant que l'on tisse les liens qui nous unissent.
"Si tu veux qu'ils soient frères, oblige-les de bâtir une tour. Mais si tu veux qu'ils se haïssent, jette leur du grain - Saint Exupéry, Citadelle".